mercredi 18 janvier 2023

Vendre de l'informatique : 5. la boutique d'imports

Vers 1992, les consoles faisaient désormais parti du paysage. Presque tous les 10-15 ans en avaient une. Bien sûr, vous finissez par vous lasser des jeux. Surtout que chaque mois, dans la presse spécialisée, il y avait des nouveautés... Imaginez que vous étiez, au hasard, fan de jeux de voitures. Dans un vieux Génération 4, vous découvriez Lotus Esprit Turbo Challenge. Vous enquiquiniez votre grand-mère, vous demandiez une avance sur votre argent de poche du mois prochain à vos parents. Ça y est, vous aviez réuni les 329 francs du prix de la cartouche Mega Drive... Mais à Carrefour, il n'avaient qu'Altered Beast, Sonic et Strider !

Car dès la fin des fêtes, les rayons jeux vidéos des grandes surfaces se réduisait à peau de chagrin. Et même à noël, ne comptiez pas trouver des "Gen d'or"...
A cause du codage PAL-SECAM, les fabricants avaient du adapter leur catalogue. A leur apogée, la NES et la Master System n'avaient chacune qu'une cinquantaine de jeux. Le Game Boy n'avait pas ce problème, mais il fut lancé en Europe avec trois jeux, avant de passer à neuf pour noël et d'atteindre deux ans plus tard vingt-quatre titres ! Les grandes surfaces, très frileuses, n'allaient pas mettre tout en rayon. Elles préféraient miser sur des valeurs sûres, comme les licences. Infogramme fit ainsi un carton à chaque noël, malgré des jeux bâclés...

Des petits malins -souvent eux-mêmes passionnés de jeux vidéo- comprirent qu'il y avait un marché. En plus, avec l'essor des grandes surfaces, de nombreux commerces de centre ville avaient mis la clef sous la porte. Donc, on pouvaient trouver des locaux à prix modiques.
Ces boutiques s'offraient volontiers des pages dans la presse spécialisées. Elles promettaient d'avoir toutes les nouveautés... En fait, elles étaient à peine plus grandes que les anciennes boutiques d'informatiques. Jeux Sega et Nintendo introuvables en grandes surfaces, imports US et Japonais, jeux pour consoles exotiques (NEC, Lynx, Jaguar...), jeux d'occasions. Il y en avait du sol au plafond ! Tout était plus ou moins rangés dans des étagères dédiées. Pour éviter la fauche, les étagères fermaient à clef (variante : les boites étaient vides et on vous donnait votre cartouche après paiement.)
C'était toute une ambiance ! Les vendeurs étaient des lycéens... Et le patron était à peine plus vieux qu'eux. Personne n'avait d'uniforme ; le samedi, c'était vite plein et il fallait s'adresser un peu au hasard. Il y avait généralement des TV. Elles diffusaient des imports Japonais. On était loin des trois jeux vendus en hypermarché ! Et tout aussi généralement, vous aviez un Remy qui voulait faire son intéressant : "Ce jeu-là, je le connais trop bien ! Je l'ai fini en deux jours !", "chez moi, j'ai une Neo Geo Américaine, t'as un Mario inédit dessus." ou "ce jeu, je peux te dire tout ce qu'il y'a écrit. Mon grand-frère, il fait une Maitrise de chinois à la Sorbonne et il m'a tout traduit." Vous aviez aussi le vieil otaku, qui demandait discrètement, la bave aux lèvres : "Vous avez Gals panic ?" Et c'est dans ces 30m² que vous passiez votre après-midi, à regarder des jeux qui n'étaient pas pour votre console ou dans votre budget...

Akira fut le premier manga traduit en français. Mais ce sont Dragon Ball Z, Saint Seiya et... Sailor Moon qui ont vraiment lancé le mouvement. Avec le début des goodies. Les figurines "direct Japon" étaient vendues à prix d'or. Dans les grandes villes, vous aviez plusieurs boutiques. Parfois, elles étaient mitoyennes ! Mais les patrons savaient s'entendre sur les prix...

Sony avaient étudié les forces et faiblesses de ses concurrents. Pour la Playstation, on vit pousser d'emblée, dans les grandes surfaces, des armoires dédiées. Bientôt, ce fut l'heure des PC, où il n'y avait plus de question de zonage.
L'intérêt des boutiques diminua. D'autant plus que Micromania proposait presque autant de choix, dans un cadre plus pro. Certaines boutiques mirent le paquet sur les manga ou les cartes graphiques (oui, déjà...)

mardi 17 janvier 2023

Vendre de l'informatique : 4. des consoles dans mon supermarché !

Les premiers supermarchés arrivèrent en France à la fin des années 50. Bientôt, ils allaient fleurir dans ces banlieues et autres villes nouvelles que l'on bâtissait à la hâte. Les épiciers furent les premiers à s'alarmer. Le grand bazar (1973) évoquait avec humour (?) cette concurrence déloyale entre supermarchés et épiciers.
Toujours en 1973, la loi Royer visait à mettre des bâtons dans les roues des supermarchés. L'obtention d'un permis de construire, pour une grande surface, était compliquée... Mais cette loi profita surtout aux grandes surfaces : il était sûr qu'à terme, aucun autre supermarché ne s'installerait près d'eux. Donc ils purent planifier leur croissance à long terme. Ils purent ainsi grandir et devenir des hypermarchés. Les supermarchés des années 60, 70 vendaient de l'alimentaire à prix bas, grâce aux tarifs de gros. Une activité avec peu de marges. L'idée des années 80, 90, c'était d'offrir de manière ponctuelle, des produits non-alimentaires à bas prix, qui servaient à tracter des clients. Par exemple, un arrivage de TV Sony grand écran vendues 100 francs ou 200 francs de moins que Darty.

Les grandes surfaces ne voulaient pas entendre parler de consoles. Bandai (qui distribuait Nintendo) et Kenner Parker (qui distribuait Sega) voulaient un prix unique et une mise en place tout l'année, quel que soit le canal de distribution. Alors où était l'intérêt du supermarché ?
Le tournant eu lieu à noël 1990. La Nintendo Game Boy et la Sega Mega Drive avait cartonnés au Japon et aux USA, en 1989. Et elles arrivaient en Europe. Là encore, c'était prix unique (590 francs pour la Game Boy ; 1090 francs pour la Mega Drive.) Mais après tout, ça serait dommage de les laisser aux magasins de jouets...
Ce furent les deux stars du rayon jouet. A peine une enseigne mettait une palette de Game Boy en rayon, à peine elle se retrouvait dans les caddies. Nintendo et Sega s'étaient engagé à livrer en premier les hypermarchés. Beaucoup de magasins de jouets furent donc livré en janvier, voire en mars...

Surtout, contrairement aux autres jouets, la demande resta forte après les fêtes. D'ordinaire, le rayon jouet était démonté après noël. Là, les enseignes installèrent de manière permanente de rayon "jeux vidéo". Auchan édita même un encart dans Tilt sur les meilleurs jeux vendus dans ses rayons !

Le temps des disquettes vendues à l'unité dans les boutiques informatique semblait déjà loin ! Noël 1991 s'annonçait tout aussi bien, avec l'arrivée de Sonic. Tilt avait créé un magazine sur les jeux consoles, Console + et le N°1, consacré au hérisson, fut vite épuisé !
Du coup, les autres grandes surfaces voulurent à leur tour un rayon jeu vidéo. Virgin -qui succéda à Kenner Parker comme distributeur de Sega- ouvrit des corners avec beaucoup de produits Sega (dont la nouvelle Game Gear) et peu de Nintendo. Les autres avaient l'habitude d'une distribution à l'ancienne : j'achète et ensuite, je viens chercher mon produit au comptoir. Alors que les consoles étaient plus adaptées à un achat d'impulsion. Pas d'exception chez Boulanger, qui proposait néanmoins aussi des consoles plus exotiques (NEC Coregrafx, Atari Lynx...) La FNAC opta pour une implantation libre-service. Vous deviez chercher votre walkman à 200 francs au comptoir, mais la Mega Drive à 1090 francs, elle était en rayon ! Quant à Darty... Leur seul espace libre-service, c'était l'après-vente. Un  espace délaissé, vu que la vendeuses n'était pas commissionnée ! Les consoles étaient à chercher au comptoir, tandis que les jeux étaient entre les sacs d'aspirateur et les alimentation !

Vendre de l'informatique : 3. vendre des consoles...

Au milieu des années 80, Nintendo (puis Sega) débarquèrent en Europe. Mais ils avaient un problème : où vendre leurs consoles 8-bit ?

Aux Etats-Unis, pas de souci. Dès les années 60, il existait des grandes surfaces d'électronique grand public (Best Buy, Circuit City, Tandy...) qui quadrillaient le pays. Elles prirent le virage de l'informatique, à la fin des années 70.
En France, informatique était synonyme de boutiques spécialisées. Or, elles s'adressaient plutôt à une clientèle adulte. Les consoles de jeu tombaient dans un no man's land. Les grandes surfaces (Boulanger, Darty, FNAC...) jugeaient ces produits trop enfantins. En plus, les ventes étaient saisonnières. Par contre, les consoles étaient des produits trop chers et trop techniques pour des jouets.

Néanmoins, Nintendo et Sega misèrent sur les magasins de jouets. Ils sous-traitèrent respectivement la distribution à Bandai et à Kenner Parker, qui possédaient une bonne connaissance du terrain. Or, à la fin des années 80, les jouets étaient presque exclusivement vendus dans de petites boutiques. Les boites de consoles étant volumineuses, elles atterrirent en haut des étagères, où elles prenaient bien la poussière ! Aussi, cela plaçait le visiteur en position d'acheteur. Car si vous vouliez regarder la boite, il fallait demander à la propriétaire, qu'elle aille chercher l'escabeau, puis qu'elle descende la console... Difficile de dire ensuite : "Finalement, non. Remontez-là !" Or, 690 francs (1) en 1988, c'était une sacrée somme ! Accessoirement, les propriétaires de magasin n'avaient aucune notion d'informatique et ils ne vendaient même pas de jeux à part !
Autant dire que les constructeurs comprirent qu'ils étaient dans une impasse.

L'alternative, c'était les quincailleries ! Historiquement, les quincaillers vendaient un peu tout ce que les autres magasins du quartier ne proposaient pas (calculatrices, piles, petit électroménager...) Par opportunisme, ils s'étaient mis à l'électronique bon marché : jeux électroniques, walkmans, boombox... C'était le temps de l'arrivée du "made in Taïwan". Certains destockeurs récupérèrent du matériel passé de mode : Atari 2600, Commodore C64... Ils se retrouvaient entre les pots de peintures et les outils Facom.

C'est assez triste, pour ces boutiques de quartier. Elles tentaient de résister à l'ogre supermarché et au contraire, elles poussèrent les fabricants de console dans les bras de la GMS...

(1) Nintendo et Sega imposèrent un prix unique. 690 francs pour la console avec une manette et un jeu ; 990 francs pour la console avec deux manettes et deux jeux.

dimanche 15 janvier 2023

Vendre de l'informatique : 2. la boutique du quartier


Au début des années 80, toute une série d'ordinateurs destinés au grand public apparait : PC, bien sûr, mais aussi Sinclair ZX, Commodore (PET, C64 et beaucoup plus tard Amiga), puis les Amstrad CPC et autres Atari ST. Pas question de les acheter dans les grandes boutiques d'informatique, qui ciblaient les professionnels.
Il y avait un fort turnover chez les informaticiens. Certains avaient été formés sur des machines ou des langages qui n'existaient plus. D'autres étaient employés de SSII ayant mis la clef sous la porte. Enfin, il y avait ceux qui se plaignaient des horaires à rallonge et du manque de reconnaissance. Beaucoup fondèrent leurs propres SSII. Mais certains ouvrirent des boutiques d'informatique.

C'étaient de toutes petites boutiques, de 10m², 20m² maximum, avec un bric-à-brac incroyable. Malgré tout, il avait rarement du stock. Ordinateurs, logiciels, accessoires, jeu... Il fallait passer commande de tout. Certains fabricants n'avaient même pas de catalogue, juste des polycopiés en noir et blanc. Vous disiez "je veux ça", il regardait le prix, sortait sa calculatrice, vous payiez et voilà... Plus qu'à repasser dans 3 semaines, lorsque votre colis sera arrivé ! Et encore, au début des années 80, beaucoup de fournisseurs connurent une existence éphémère. A peine le logiciel ou la carte-mère lancée, ils disparaissaient. Ça alla mieux ensuite. Votre revendeur pouvait même leur passer commande par Minitel.
L'informaticien (qui était généralement l'unique employé) faisait du dépannage et donnait des cours d'informatique. Deux prestations utiles, qui lui permirent de conserver son activité jusqu'à la fin des années 90, alors qu'il ne vendait plus aucun ordinateur (certains firent également cyber café.) En attendant, vous le trouviez souvent en train de réparer une machine (ou de travailler sur son propre programme) : "Keskya ? Repassez dans une heure, je suis occupé, là !" Globalement, il était très mauvais commerçant : "Un CPC464 ? Mais c'est de la merde, ça, gamin !" Il avait ses têtes. C'était un nerd à l'époque où le terme ne portait pas grand chose de positif.

Les boutiques d'informatiques connurent leur apogée durant la seconde moitié des années 80. Puis les consoles 16 bits marginalisèrent les ordinateurs de loisirs. L'une des erreurs d'Amstrad et de Commodore fut de rester fidèle aux boutiques d'informatiques, alors que les grandes surfaces s'imposaient comme distributeur de consoles. Puis, avec l'arrivée de Windows 95, les fabricants de PC se tournèrent à leur tour vers les GMS. Il ne restait plus qu'Apple, qui cultivait volontiers cette image "indé"... Mais avec l'iMac, Apple débarqua à son tour dans les linéaires des grandes surfaces spécialisées.

Vendre de l'informatique : 1. les débuts

Dans les historiques de l'informatique, on parle surtout de technique. Mais une chose à beaucoup évolué : la manière de les vendre.

Commençons par le commencement. Grâce aux programmes de recherche supérieure -civil et militaire- les ordinateurs ont beaucoup progressé, dans les années 60-70. Jusque-là, les ordinateurs étaient des machines performantes, mais gigantesques. Ils servaient à calculer des trajectoires de fusées ou à faire fonctionner des centrales nucléaires. Des scientifiques eurent alors une idée farfelue : et si un ordinateur pouvait aussi gérer la comptabilité d'une PME ou organiser la production d'une usine ? Des ordinateurs assez petits pour tenir dans un bureau et suffisamment peu chères pour entrer dans les moyens d'une entreprise...
Cet ordinateur-là, c'était la pierre philosophale de l'informatique, jusqu'en 1981 et l'invention du PC par IBM.

Aussi, jusqu'ici, chaque ordinateur était unique. Une administration -civile ou militaire- allait voir un constructeur, qui lui réalisait une machine sur-mesure. Les clients des ordinateurs simplifiés, eux, ils voulaient une machine clef-en-main.
On était bien loin des scientifiques en blouses blanches... Imaginez un hall d'exposition, avec des ordinateurs dedans. Faute de photos, j'ai du faire ce photomontage à l'arrache. Chaque machine possédait un prix à cinq chiffres. Des vendeurs en costumes en tweed et rouflaquettes vous parlaient des bécanes en des termes financiers : amortissement, paiement en plusieurs fois, prestation de formation ou de maintenance... Il n'était pas encore question de mettre DES ordinateurs dans les entreprises. On en achetait un seul, avec une imprimante, mais on était censé le garder longtemps.
Et si vous étiez vraiment bricoleur, on ne vous vendait que la carte-mère et vous créiez vous-même votre propre ordinateur (et vous le programmiez vous-même !)

L'objet créait le besoin. De nouvelles utilisations apparurent (dessin industriel, traitement de texte...) De quoi favoriser l'émergence de fabricants de logiciels, comme Micro-Soft (qui allait rapidement perdre son tiret.)

IBM avait une politique de l'intégration horizontale. Il vendait lui-même ses ordinateurs. Les autres n'avaient pas les moyens -ou l'envie- d'investir dans un réseau mondial. Pour les indépendants, l'investissement se limitait à la boutique principale. La marge était telle qu'avec une dizaine de nouveaux clients par an, ils pouvaient vivre grassement. Les banques et les assurances se bousculaient pour s'équiper. Les banques d'affaires souhaitant des machines dernier cri, avec connexion aux serveurs internationaux.
Avec l'arrivée des PC, la bureautique changeait de dimension. Le prix des ordinateurs perdit un "zéro". En conséquence, les grandes entreprises achetaient désormais des parcs informatiques et des entreprises plus modestes pouvaient s'équiper. Les boutiquiers se transformèrent elle-même en PME, à la fin des années 80. Il y eu des millionnaires de la distribution informatique. D'autres tentèrent même de produire leurs propres PC...